Cet article
a été rédigé à la veille des opérations
en Afghanistan. Il décrit une situation susceptible de changement
car une période de guerre impliquant de nombreux pays ouvre
la porte à de multiples incertitudes. Il sagit simplement
dun état des faits, établi à la date du
6 octobre 2001. Personne ne peut actuellement préjuger des
bouleversements futurs. Annick
MISKE-TALBOT
POUR LA PAIX AU SAHARA OCCIDENTAL I - Rechercher
sérieusement la paix au Sahara Occidental 1. Un étrange
rapport du Secrétariat Général de l'ONU.
Le Secrétariat Général de l'ONU a présenté
le 22 juin 2001 un rapport, à propos de la question du Sahara
Occidental, marqué par un alignement sur les positions du Maroc,
en contradiction totale avec la loi et l'éthique internationales,
avec les positions qui sont celles de la Communauté Internationale
depuis 36 ans et plus précisément avec le "plan
de paix" des Nations Unies.
Le rapport aboutit à une négation du droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes. En effet, il propose qu'après
cinq ans de cohabitation entre colons marocains et colonisés
sahraouis, les occupants ayant séjourné un an dans le
pays puissent se prononcer sur le statut du Sahara Occidental au même
titre que les populations autochtones. Or les colons sont déjà
plus nombreux que les colonisés !
Autrement dit, les Nations Unies organiseraient - c'est une première
- un "Référendum" coup de force électoral,
entérinant l'annexion d'un territoire occupé arbitrairement
par un pays voisin.
Pourquoi cette attitude contraire à toutes les opérations
menées depuis 1990 (Koweït-Balkans-Timor) par l'ONU sous
la pression des grandes puissances ?
L'opinion de la majorité des Etats siégeant aux Nations
Unies était que la question du Sahara Occidental dépendait
essentiellement des Etats-Unis et de la France.
Le Conseil de Sécurité qui a examiné les propositions
du Secrétaire Général le 29 juin 2001 a montré
que lorsque les principes fondant le droit à l'autodétermination
des peuples était en jeu, le consensus franco-américain
pouvait faire l'objet de réserves.
Les U.S.A. et la France ont des intérêts au Maghreb et
sont soucieux de l'ordre qui y règne ou qui devrait y régner.
On peut s'étonner dès lors que l'analyse que les
puissances font de la situation ne prenne pas en compte tous les paramètres.
Il est difficile de comprendre pourquoi certaines grandes puissances
font passer des intérêts stratégiques datant de
la guerre froide, avant ceux d'une "mondialisation" qui
serait intelligente, où les grands ensembles régionaux
assumeraient des fonctions de production et de redistribution équilibrées
offrant des opportunités de paix et de pratique démocratique.
Pourquoi donc ne font-elles pas passer la construction d'un Maghreb
réconcilié, pacifié, développé
avant le soutien aveugle et contre-productif à un Maroc où
le bellicisme à l'égard de ses voisins empêche
l'instauration d'une approche démocratique et le respect des
droits de l'homme.
La construction de l'Union du Maghreb Arabe qui suppose au minimum
le rétablissement de relations de confiance entre tous les
pays de la région et l'ouverture démocratique dans chacun
des Etats, ne peut-être envisagée qu'une fois réglée
de façon équitable - acceptable par tous - le
conflit du Sahara Occidental.
Pour ce faire, il faut que le Maroc, par son attitude à l'égard
du peuple Sahraoui, prouve qu'il abandonne désormais toute
visée hégémonique au Sahara Occidental comme
dans toute la région. Ce n'est certainement pas en proposant
aux Sahraouis de devenir marocains qu'il va établir des liens
de confiance avec eux et qu'il va rassurer les pays à l'encontre
desquels des revendications sont toujours latentes (revenant comme
une litanie chaque fois que le Royaume ou un parti politique juge
utile de se livrer à un chantage).
Edifier le Maghreb, cest dabord atténuer puis faire
disparaître létat de tension, la suspicion qui
y sévissent. Cest donc faire disparaître leurs
causes.
Aurait-il été possible de réaliser lUnion
Européenne si lAllemagne, analysant les troubles provoqués
au sein des autres puissances par sa volonté dhégémonisme,
navait pas compris que la page devait être tournée
et quelle ne pourrait surmonter ses démons quen
se rapprochant de ses voisins et en construisant avec eux une uvre
commune ?
2. Pour construire le Maghreb, en finir avec les revendications territoriales.
Sil est vrai quon ne peut construire le Maghreb tant
que le conflit du Sahara Occidental persiste, il est aussi vrai que
la résolution du conflit passe par lédification
du Maghreb. Or, cette dernière exige elle-même la
disparition des volontés hégémoniques et le dépassement
des groupes dintérêts qui ont besoin du conflit
pour se maintenir.
Quand le Secrétaire Général des Nations Unies,
sous la pression de grandes puissances, soutient le Maroc dans ses
prétentions expansionnistes au lieu dencourager une solution
juste et crédible, il retarde lédification du
Maghreb. Ce qui est une lourde responsabilité.
Le paramètre principal que les grandes puissances oublient
dans leur analyse a trait à la mémoire. Les peuples
nont oublié ni les revendications, ni les attentats,
ni les guerres dont ils ont été lobjet.
Etablir des relations de confiance suppose le respect des choix des
populations, la reconnaissance des droits internationaux de chaque
peuple de la région.
Les traditions guerrières et maraboutiques dans la région
maghrébine permettent, avec le temps, dapaiser les douleurs
sans quil soit question de repentance, mais faut-il pour cela
que les relations restaurées soient basés sur la
justice et la reconnaissance des droits de chacun.
Avant de rappeler brièvement ce quà été
le jeu des grandes puissances dans cette question du Sahara Occidental,
un bref arrêt sur images chocs devrait permettre de remettre
les événements dans leur contexte régional.
Si les commentaires sont personnels, les faits rapportés ici
peuvent être retrouvés dans labondante littérature
existant sur le sujet, en particulier dans lun des derniers
documents produits, la thèse de géopolitique de Sophie
Jacquin (Les Nations Unies et la question du Sahara Occidental
décembre 2000 Paris 8).
Quelques jours avant que la Mauritanie accède à lindépendance,
Mohamed Boucetta déclare devant la Commission politique de
lAssemblée Générale de lONU, le 15
novembre 1960, que le Maroc estime « lindépendance
de ce quon appelle la Mauritanie comme une vaste escroquerie
et une grande illusion ».
Avant et après lindépendance, le Maroc essaiera
à plusieurs reprises de déstabiliser la Mauritanie :
attentats meurtriers contre des civils, accueil de transfuges attirés
par la propagation de fausses nouvelles
. création dun
Ministère des Affaires mauritaniennes et du Sahara et réanimation
de celui-ci après 1960, chaque fois que le royaume souhaitera
faire pression sur le pays (en 1965 en particulier, peu après
la première résolution du Comité Spécial
de lONU sur la décolonisation du Sahara Occidental où
la Mauritanie avait fait entendre sa voix). Il mettra neuf ans à
reconnaître la Mauritanie (le premier ambassadeur marocain est
arrivé à Nouakchott le 2 février 1970).
La Mauritanie était revendiquée dans le cadre dun
supposé « Grand Maroc » qui englobait ce que le
livre blanc marocain appelait la Mauritanie espagnole (le Sahara Occidental
actuel), la totalité de la Mauritanie, une partie de lAlgérie
et du Mali.
La revendication à légard de lAlgérie
a entraîné au lendemain de lindépendance
de ce pays, ce qui est encore un souvenir très douloureux,
la « guerre des sables ».
Largumentation concernant Tindouf est tout aussi étonnante
que les autres. Cet ancien marché caravanier est réclamé
par les marocains parce quil a été fondé
par des nomades sahariens Tadjakant venant du Centre de la Mauritanie
!
Dans ces conditions, il est normal que lAlgérie et la
Mauritanie se sentent insécurisées voire menacées.
Lors de la première résolution de lONU (2229 du
20/12/1966) invitant lEspagne à permettre à la
population autochtone du Sahara Espagnol dexercer librement
son droit à lautodétermination, lAlgérie
sest fait reconnaître comme « partie intéressée
», non pour revendiquer un territoire mais parce que sa
propre sécurité était en cause.
En 1966, comme aujourdhui, lidéologie expansionniste
et lextension vers le Sud constituent une menace potentielle
contre la région de lOr Noir et plus globalement de tout
le Sud-Ouest algérien. Il en est ainsi pour la Mauritanie qui
a 1.570 kilomètres de frontière avec le Sahara Occidental
et dont le premier régime doit sa chute au conflit du Sahara.
Le climat de détente de 1970 (reconnaissance de la Mauritanie
et accords de Tlemcen entre Hassan III et Boumedienne) a été
sans doute favorisé par les difficultés intérieures
sévères que le Maroc affrontait à cette époque.
La suite montrera que les mots navaient pas le même sens
pour les deux chefs dEtat.
Alors quil na jamais été question de reconnaître
des droits au Maroc au cours de cette rencontre, Attilio Gaudio dans
« Le Dossier du Sahara Occidental » (Nouvelles Editions
latines, 1978) estimera que le Maroc espérait « quune
compensation à sa reconnaissance de la Mauritanie et du contentieux
frontalier avec lAlgérie lui serait accordée par
lacceptation par ces deux pays de la marocanité
du Sahara ».
Le 14 septembre 1970, Maroc, Algérie et Mauritanie se rencontrent
à Nouadhibou, réaffirment leur volonté de décoloniser
la région ; Hassan II se prononçant même pour
le principe à lautodétermination du Sahara Occidental.
Après avoir essayé de mettre en route lautonomie
interne, lEspagne qui est affrontée à un mouvement
sahraoui (1) de plus en plus offensif, décide après
le manifeste du 10 mai 1973 du Front Polisario, dorganiser le
référendum dautodétermination prôné
par lONU et dans cet objectif, dès 1974, organise le
recensement de la population sahraouie.
La monarchie marocaine sétant requinquée par
lélimination de toute contestation interne change de
tactique. Elle parvient à entraîner la Mauritanie
dans une politique de partage du Sahara à laquelle finit par
consentir une Espagne empêtrée dans la difficile succession
de Franco. Mais la guerre du Sahara ne suscite dadhésion
ni de lopinion, ni de larmée mauritaniennes et
elle finit par emporter le régime de Nouakchott en 1978.
Un an après, le 5 août 1979, la Mauritanie signait un
accord de désengagement du Sahara avec le Front Polisario.
Aussitôt le Maroc exerçait un « droit » de
préemption sur la partie évacuée par la Mauritanie.
La Mauritanie reconnaîtra la République Arabe Sahraouie
Démocratique en 1984.
Lengrenage des événements qui ont suivi laccord
secret de partage maroco-mauritanien (début 1974) est connu
: recours à la Cour Internationale de Justice au moment où
lEspagne allait organiser le référendum, grand
bluff médiatique de la « Marche verte » ayant pour
objet de prendre de vitesse lAssemblée Générale
de lONU avant quelle nait pu examiner les recommandations
de la Cour Internationale de Justice et de la mission onusienne ayant
enquêté sur les souhaits du peuple sahraoui ; coup de
force de laccord de Madrid arraché à lEspagne
plongée dans la confusion dun changement de régime,
etc.
Duperies continuelles et non respect du voisin (dont les territoires
sont revendiqués périodiquement) pèsent lourd
sur le contexte régional. (1) Avant
le Front Polisario existait le Mouvement pour la libération
de la Seguiat et Hamra et de lOuest ed Dahab fondé en
1967 par un journaliste, Mohamed Sidi Ibrahim Bassiri. Soucieux de
moyens légaux et pacifique, le mouvement fut durement réprimé
le 17 juin 1970 à El Aïoun (11 à 12 mors, des centaines
de blessés). Arrêté le 18 juin à 15 H,
le leader du mouvement, Mohamed Sidi Ibrahim Bassiri, ne réapparut
jamais. Les autorités espagnoles affirmèrent quil
avait été déporté au Maroc le 26 juin
1970. Des témoignages récents laissent présumer
que les Sahraouis qui gênaient les desseins du Roi auraient
subi les mêmes traitements expéditifs (dissolution dans
une cuve dacide) que des opposants marocains radicaux. |